Météo
La page météo vous invite à suivre jour après jour les conditions météorologiques rencontrées lors de la campagne en mer ACCLIMATE. Elle est assortie des précieuses explications de la climatologue Masa Kageyama. Elle va vous permettre de découvrir l'importance et l'impact de cette variabilité.
Jeudi 3 mars
Le quart de 4h-8h prend le relais sur une mer calme qui nous permet d'avancer à une vitesse de croisière de 12 nœuds. (Extrait du journal de bord du 3 mars)
Vendredi 4 mars
Ce matin une discussion intense a émergé parmi nous quant au temps extrêmement clément rencontré. Au réveil une brume légère était posée sur une eau (presque) lisse. Nous avons interpelé Masa, notre climatologue versée en météorologie. Voici ce qu’elle nous a écrit :
Hier, nous avons donc croisé le parallèle des 40° S. Pour les spécialistes de l’atmosphère et les navigateurs, nous sommes donc théoriquement entrés dans la zone mythique des 40èmes rugissants. Ces « rugissants » sont de forts vents d’ouest, empruntés depuis longtemps par les navigateurs. La carte ci-dessous montre la moyenne des vents proches de la surface (niveau de pression 1000 hPa) pour tous les mois de mars entre 1981 et 2010. On y voit, entre 40 et 60° S, une zone de vents forts (en jaune), en particulier entre 0 et 180° E, donc dans le secteur dans lequel nous nous trouvons.
Carte climatique : moyenne des vents de surface au mois de mars
Ces vents, forts en surface, le sont plus encore en altitude (voir carte ci-dessous), et atteignent leur maximum au sommet de la troposphère (à environ 10 km d’altitude, soit 200 hPa en termes de pression atmosphérique).
Carte climatique : moyenne des vents d'altitude au mois de mars
Pourtant, depuis hier, nous n’avons que peu de vent et peu de vagues. Sur la carte météo photographiée à la passerelle, on voit que le bateau se trouve en effet dans une zone de couleur blanche, indiquant des vents très faibles. On voit aussi qu’autour de la zone calme où nous nous trouvons, les vents sont plus forts (couleurs jaune et orangée sur les bords de l’écran).
Carte météorologique de la passerelle
Notre situation illustre bien la différence entre météo et climat : en moyenne, là où nous nous trouvons, les vents sont forts et le sont plus encore dans la zone où nous nous dirigeons. Pourtant, les vents aujourd’hui sont faibles. Cela veut dire que d’autres jours, à l’endroit où nous nous trouvons, ils seront plus forts... mais nous serons déjà partis. Espérons donc que les 40e rugissants restent calmes, cela rend les opérations beaucoup plus aisées. (Extrait du journal de bord du 4 mars)
Samedi 5 mars
La mer est étonnamment calme et il fait très beau. Nous pouvons profiter du soleil. Nous sommes pourtant dans une zone de vent fort. Nous avons franchi le 40ème parallèle hier surnommé les quarantièmes rugissants. Vous pouvez imaginer pourquoi les marins ont nommé comme ça cette région. (Extrait de la réponse aux CPa de l’école Ouche – Dinier – 5 mars)
Dimanche 6 mars
A peine dissertions nous sur le calme de la météo que nous recevions un message annonçant des conditions moins clémentes.
Il a donc s’agit d’attacher nos ordinateurs, appareils, trousses de toilettes et autres objets potentiellement volants et identifiés. Il a donc s’agit pour l’équipage d’arrimer solidement les choses sur le pont. (Extrait du journal de bord des 5 et 6 mars)
Lundi 7 mars
Le vent, toujours d’ouest, s’abat sur le flanc du bateau où le carottier se trouve. Le quart 4-8 sera extrêmement froid et mouillé tant pour les scientifiques que pour les marins ! (Extrait du journal de bord du 7 mars)
Nous commençons à être remués car les conditions météo se sont modifiées. Le vent a forci, la température a chuté et les vagues se creusent. Mais nous sommes prêts pour le prochain carottage. L’équipe est concentrée mais détendue. La houle est légèrement écrasée par le vent, mais elle est suffisamment importante pour faire bouger le bateau de manière significative. Certains membres de l’équipe ont d’ailleurs retrouvé la sensation désagréable du mal de mer. Pour la semaine prochaine, une tempête est annoncée mercredi. Dans une des zones de carottage. Il se peut qu’il y ait des vagues de 10m. Nous allons faire en sorte de l’éviter. L’air est actuellement à 6°C et la sensation de froid est bien présente. Le vent et l’humidité accentuent cette sensation. Les bonnets, pulls et grosses vestes sont nécessaires pour aller sur le pont. Aujourd’hui, le ciel est gris mais lumineux. Hier soir le soleil couchant et la lumière étaient magnifiques. (Extrait de la réponse aux CE1 B de l'école Ouche-Dinier – 7 mars)
Mardi 8 mars
Maintenant il fait très froid, il fait autour de 4 degrés (Celsius) quand on est sur le pont pour travailler on doit être très habillé, on met des bonnets, des gants, des gros manteaux. Le vent souffle très fort, de sorte qu'il est souvent difficile de rester debout tout droit. On doit marcher penché vers l'avant dans la coursive pour garder l'équilibre. On garde toujours une main libre pour s'accrocher à la main courante. Dans les jours à venir le vent va souffler encore plus fort, ça va même peut-être devenir difficile de travailler. (Extrait de la réponse aux CP-CE1 de l’école Ouche-Dinier)
Le quart 4-8 puis le 8-12 s’attaquent au tronçonnage de la carotte en section de 1,5 m, sur la coursive exposée aux éléments. Après quatre heures de travail intense, dans le vent, le froid, et l’humidité, ils sont rincés, au propre comme au figuré. (Extrait du journal de bord du 8 mars)
Jeudi 10 mars
Nous voici donc installés pour la station la plus australe de la campagne. La mer permet de travailler, néanmoins les vents semblent poser un défi pour stabiliser le bateau. Le suspense est un peu pesant.
Vents forts ou pas, mers formées ou pas, aller retour sud-nord pour optimiser le temps de travail, bref une météo changeante nous poursuit. Nous poursuit-elle vraiment ? Ne serait-ce pas plutôt nous qui sommes venus à sa rencontre ? Voici la réponse de notre climatologue versée en météorologie, Masa (les dessins sont aussi d’elle, quel bonheur !) :
Hier nous avons donc passé le 50e parallèle, et nous continuons à nous trouver dans la zone des vents d’ouest des moyennes latitudes de l’hémisphère sud. Ces derniers jours, nous avons pu observer la météo changeante de la région. Certains se demandent certainement pourquoi il en est ainsi. Voici donc quelques explications :
La Terre reçoit de l’énergie du Soleil, mais de manière inégale. Aux hautes latitudes, les rayons du Soleil sont plus rasants par rapport à la surface de notre planète qu’aux basses latitudes (schéma 1). L’énergie reçue par unité de surface aux hautes latitudes est donc plus faible qu’aux basses latitudes. Cette répartition inégale de l’énergie reçue du Soleil par la Terre explique qu’il fasse plus chaud aux basses latitudes, dans les tropiques, que dans les régions polaires.
Schéma 1 - Répartition inégale de l'énergie reçue du Soleil
Cette différence de température entre l’équateur et les pôles est un moteur pour les mouvements de l’atmosphère, qui transporte de l’énergie des basses vers les hautes latitudes. Ce transport s’organise différemment selon que l’on se situe dans les tropiques ou dans les moyennes latitudes.
Aux moyennes latitudes, on peut montrer à partir des principes de mécanique des fluides appliqués à l’atmosphère que les vents soufflent de manière à garder les températures chaudes à leur gauche et les températures froides à leur droite dans l’hémisphère sud (c’est l’inverse dans l’hémisphère nord). C’est ce que les spécialistes de l’atmosphère appellent le principe du vent thermique (schéma 2).
Schéma 2 - Vents d'ouest des moyennes latitudes
Ce principe est lié au fait que notre planète tourne sur elle-même, et à la force de Coriolis, associée à cette rotation. Ces bandes de vents d’ouest, très forts, en particulier à ~10 km d’altitude, sont appelés courants-jets (en anglais jet-streams).
A la fin des années 1940, des spécialistes de dynamique de l’atmosphère ont montré que ces vents d’ouest ne sont pas stables : si on les perturbe un peu, la perturbation grossit jusqu’à aboutir à des ondulations du courant-jet (schéma 3).
Schéma 3 - Ondulation des vents d'ouest
Ces ondulations, emportées d’ouest en est par les vents moyens, forment les alternances entre dépressions et anticyclones familières aux passionnés de météorologie des moyennes latitudes. Ce sont ces perturbations qui transportent de l’énergie de l’équateur vers les pôles, par un gigantesque brassage de l’air sur toute la verticale. Voici donc le régime météorologique dans lequel nous nous trouvons.
Une prochaine fois, nous expliquerons pourquoi ces vents d’ouest intéressent non seulement les spécialistes de l’atmosphère et de météorologie mais aussi les océanographes, les biologistes et les climatologues. (Extrait du journal de bord du 11 mars)
Vendredi 11 mars
Vents forts ou pas, mers formées ou pas, aller retour sud-nord pour optimiser le temps de travail, bref une météo changeante nous poursuit. (Extrait du journal de bord du 11 mars)
Samedi 12 mars
Nous n’avons pas pu nous approcher de l’île Bouvet à cause de la météo qui nous a déjà fait prendre du retard. Nous n’étions pas très loin mais nous avons dû déguerpir avant que des vagues ne nous remuent encore plus. Actuellement, nous sommes en route vers l’ouest vers la prochaine station de carottage et ensuite nous commencerons à remonter vers le nord et des températures plus douces. (Extrait de la réponse aux CM1-CM2 de l’école Roger Ferdinand à Palaiseau)
D’ailleurs, en ce moment, il fait presque aussi froid dehors que dans les frigos. (Extrait de la réponse aux CP et CE1 de l’école Saint Maur à Osaka)
Lundi 14 mars
Notre voyage vers l'ouest se poursuit. Quelques perspicaces ou impatients auront remarqué que nous ne progressons pas très vite depuis notre dernière station. C'est que nous nous trouvons face aux vents d'ouest, mais aussi dans un courant très fort : le courant circumpolaire antarctique. (Circumpolaire = qui fait le tour du pôle.) C'est en fait le seul courant qui fait le tour de la planète, de l'Océan Atlantique à l'Indien et au Pacifique, avant de retourner dans l'Atlantique par le passage de Drake entre l'Amérique du Sud et la péninsule Antarctique.
Ce courant est un des plus forts au monde, en terme de masse d'eau transportée : environ 130 Sv (Sverdrups), soit 130 millions de m3 par seconde ! Sa vitesse moyenne est de 2 nœuds, soit la vitesse d'un marcheur en forme.
Ce courant a été découvert par l'astronome Edmund Halley pendant une expédition en 1699-1700, puis il a été décrit par les navigateurs James Cook et James Clark Ross dans leurs journaux de navigation (XVIII et XIXe siècles).
Le circumpolaire, courant océanique de l'hémisphère sud
http://www.TeAra.govt.nz/en/map/5915/circumpolar-currents
Le courant circumpolaire est associé aux vents d'ouest des moyennes latitudes australes.
Comme eux, il fait le tour de la planète, comme eux, il est perturbé par des tourbillons. Mais dans l'océan, les tourbillons sont beaucoup plus petits, à cause des différences entre les propriétés de l'air et de l'eau.
Sur la figure ci-dessous, vous pouvez voir à gauche le courant moyen (flèches rouges) et à droite les tourbillons, tels que représentés par un modèle océanique à haute résolution.
Le circumpolaire, courant océanique de l'hémisphère sud
http://rsta.royalsocietypublishing.org/content/366/1885/4529 Thompson, 2008, Phil. Trans. RMS
Dernières nouvelles : depuis quelques heures le vent a tourné au nord-est et nous pousse. Nous sommes passés d'une vitesse de 2-3 nœuds à plus de 10 nœuds. Youpi !
Il est 21h21 de ce lundi 14 mars ; enfin le vent s'est calmé et les vagues diminuent. Les conditions sont bonnes pour que les équipes commencent les préparatifs, le carottier est prêt, on est tous très contents de reprendre les opérations ! (Extrait du journal de bord des 14 et 15 mars).
Mardi 15 mars
A 7h30 on arrive à une nouvelle station (Lat46°58S Lon7°53W), par une profondeur de 1950m, l'eau est à 6°C, l'air à 7°C (on remonte clairement vers le nord !) (Extrait du journal de bord des 14 et 15 mars).
Vendredi 18 mars
Les enfants d’une école nous ont demandé si des études sur l’eau étaient effectuées à bord. Nous sommes donc allés enquêter auprès des personnes de l’IPEV qui nous accompagnent et auprès de Jonathan, qui a embarqué pour mesurer les isotopes de l’oxygène dans l’eau de surface et, quand cela a été possible, de fond.
Vous avez peut-être remarqué en nous suivant de jour en jour que les températures variaient tout au long de notre trajet. Certains se seront peut-être même aventurés à les tracer sur un graphique. Eh bien, à bord nous disposons des données en temps réel, mesurées toutes les secondes pour la température et la salinité.
Voici un graphique montrant ces températures et salinités moyennées toutes les 30 minutes depuis le début de la mission (données de l'Institut Polaire Français)
On peut noter que lorsque nous sommes descendus vers le grand sud, nous avons eu des températures de plus en plus froides et des eaux de moins en moins salées. Lorsque nous sommes remontés au nord pour éviter une tempête, nous avons retrouvé des températures plus chaudes (9-10 mars. On voit aussi que la température peut changer très vite : +5°C en quelques heures le 15/03). C’est à ce moment-là que nous avons traversé le front subantarctique. Un front, c’est exactement cela : les températures changent très vite sur une distance très courte.
Si l’on représente ces données sur des cartes, on se rend mieux compte que les températures et salinités enregistrées sont liées à la position du bateau : plus il est au sud, plus les eaux sont froides et moins elles sont salées. On comprend bien qu’elles deviennent plus froides en s’approchant du pôle Sud. Nous verrons plus tard les raisons des changements de salinité.
La température de l'eau, moyennée toutes les 30 minutes, reportée sur le trajet du Marion Dufresne
La salinité de l'eau, moyennée toutes les 30 minutes, reportée sur le trajet du Marion Dufresne
Vous aurez certainement remarqué des valeurs très basses de salinité du 11 au 14 mars. Ces valeurs nous semblaient anormales. Nous sommes donc allés voir avec Xavier Morin où était prélevée l’eau dont on mesure les propriétés. C’est tout à l’avant et en bas du bateau que cela se passe !
Donc hier, à 18h00 précise, nous avions rendez-vous pour tirer au clair le mystère des salinités fort basses. Nous avons pu visiter le brion et le circuit prélèvement/mesure de l’eau, car en réalité c’est quotidiennement que les membres de l’équipe de l’Institut Polaire Français lui rendent visite. Cela leur permet de récolter des échantillons pour s’assurer que les instruments de mesures restent bien calibrés ! Mais si l’avant du bateau est le lieu de prélèvement de l’eau le moins influencé par le navire, ce n’est pas sans difficulté.
Le circuit de prélèvement de l'eau
Rendons la plume à Masa !
Lorsque l’avant du bateau s’élève au-dessus de la mer, par exemple lorsqu’il y a de grosses vagues, on ne mesure plus seulement les propriétés de l’eau, mais probablement d’un peu d’air aussi. D’où les valeurs anormales vues sur le graphique (les grands pics vers le bas). Ce sont les jours de houle importante que ces valeurs se sont produites. Je les ai retirées du graphe présenté dans la réponse aux élèves. Voyez les différences !
Mardi 22 mars
Mesures de l’eau de surface, suite
Nous avons vu précédemment l’évolution de la température et de la salinité au cours de notre parcours et nous avons laissé quelques explications en suspens. En voici donc la suite.
Reprenons les jolies figures de Jonathan, où l’on voyait que la température était plus chaude aux latitudes plus proches de l’équateur, ce à quoi nous pouvions nous attendre. Nous avons aussi vu que la salinité a diminué lorsque nous nous dirigions vers le sud, et qu’elle remonte depuis que nous sommes repartis vers le nord. Ceci est lié principalement aux différences d’évaporation et de précipitation. Il y a plus de précipitation dans la partie sud de notre parcours, car, comme nous l’avons déjà vu, nous étions dans la zone des vents d’ouest et des tempêtes porteuses de précipitations. De plus, l’évaporation est plus forte pour des températures plus chaudes, donc au nord de notre parcours.
Bilan : au nord, moins de précipitations, plus d’évaporation, l’eau à la surface de la mer est plus salée.
Lien entre la salinité à la surface de l’océan et les conditions atmosphériques au-dessus de l’océan, schématisé très simplement pour la zone géographique que nous avons parcourue.
Il y a aussi une autre caractéristique de l’eau qui a été mesurée à bord : le rapport des isotopes 18 et 16 de l’oxygène. C’est ce rapport qui est aussi mesuré dans les coquilles des foraminifères se trouvant dans les carottes de sédiment. Autant dire que ce rapport est très important pour les paléoclimatologues.
Nous n’allons pas beaucoup nous étendre sur les isotopes ici. Nous nous bornerons à dire que l’atome d’oxygène existe sous trois formes. La forme majoritaire est l’isotope 16O (plus de 99% des atomes d’oxygène), mais les isotopes 17O et 18O, comportant plus de neutrons que l’16O, existent également naturellement. L’isotope 18 de l’oxygène, l’18O, qui nous intéresse ici, est plus lourd que la forme majoritaire 16O. Lors de l’évaporation de l’eau, c’est l’isotope léger qui est favorisé et la vapeur se trouve appauvrie en 18O alors que l’eau liquide restante est enrichie en 18O. Lors de sa condensation, l’eau liquide s’enrichit en isotope lourd et la vapeur restante s'enrichit en isotope léger.
Voici les mesures préliminaires effectuées par Jonathan. Sur la figure ci-dessous le rapport 18O est grand lorsque l’eau contient plus d’isotope 18 de l’oxygène de l’eau, et petit lorsque l’eau contient plus d’isotope 16 de l’oxygène.
Que constate-t-on ? Du nord au sud, l’eau mesurée est de plus en plus pauvre en 18O. Il y a plusieurs raisons à cela.
Variations de la teneur isotopique de l’eau (H2O) en oxygène 18 (cercle bleu foncé « 18 ») et 16 (cercle bleu ciel « 16 »). Les proportions en 18O sont exagérées pour une meilleure lisibilité
- Nous avons vu que l’évaporation est plus importante au nord de notre parcours. Comme cette évaporation favorise les isotopes légers, l’eau à la surface de l’océan est plus riche en 18O au nord qu’au sud.
- Au fur et à mesure qu’on se déplace vers le pôle, la vapeur d’eau provenant des tropiques condense, formant nuages et précipitations. La vapeur s’appauvrit de plus en plus en 18O, et même si la précipitation est plus riche en 18O que la vapeur d’eau, celle-ci s’appauvrit également sur la route des pôles. Résultat : sur la partie sud de notre parcours, les pluies apportent une eau appauvrie en 18O par rapport aux eaux de surface sur le nord de notre parcours.
- Enfin, la zone sud peut aussi être sous l’influence de la fonte des icebergs, provenant de l’Antarctique, donc la glace est très appauvrie en 18O. Une raison de plus pouvant expliquer les variations en 18O mesurées à bord !
On voit donc que le rapport 18O/16O est très sensible au climat : si l’évaporation change, si les zones de front se déplacent, si davantage d’icebergs fondent, le rapport 18O/16O est modifié. Ce signal est justement enregistré par les foraminifères, dont la calcite se forme à partir d’oxygène présent dans l’eau de mer. Lorsque nous aurons mesuré 18O et 16O dans les sédiments prélevés au cours de la mission, nous en saurons beaucoup plus sur les changements climatiques dans l’océan Atlantique Sud et dans l’Océan Austral.
Nous n’avions que peu de données d’18O de l’eau de surface dans les zones traversées par notre mission océanographique. Les nouvelles données obtenues seront donc très utiles !
Observations en 18O de l’eau de surface existant en 2006
Source : http://data.giss.nasa.gov/o18data/, LeGrande, A.N., and G.A. Schmidt, 2006: Global gridded data set of the oxygen isotopic composition in seawater. Geophys. Res. Lett., 33, L12604. Pour plus de renseignements: http://data.giss.nasa.gov/o18data/ (en anglais)
(Extrait du journal de bord du 22 mars)
Vendredi 8 avril
Un petit post-scriptum sur ce que nous montrent les mesures effectuées par la « CTD » (une CTD est une sonde mesurant la conductivité, la température et la profondeur (Conductivity Temperature Depth) de l'eau).
Au jour 6, nous vous avions montré la rosette, équipée de bouteilles pour recueillir l’eau de la mer à différentes profondeurs et d’instruments mesurant la température et la conductivité de l’eau.
(...) un nouvel instrument (pour cette campagne) a été mis à l’eau : il s’agit de la CTD ou rosette. La CTD est un dispositif qui récolte de l’eau à différentes profondeurs, tout en enregistrant différents paramètres : la conductivité (qui nous informe sur la salinité), la température et la profondeur (via un capteur de pression).
A nouveau environ 3 heures pour descendre et remonter la CTD. Pour cette campagne, une amélioration des conditions d’échantillonnage de l’eau rapportée par la CTD est constatée. Un rail permet d’amener l’instrument à l’intérieur afin de travailler dans des conditions optimales. Avant, il fallait travailler sur le pont quelles que soient les conditions !
La CTD
Ici, je reviens sur les résultats obtenus pour notre site 2 (46°56’ S, 6°14’ E), illustrés par la figure ci-dessous :
CTD - station 2, source : IPEV
Le graphique de gauche montre la température en fonction de la profondeur, jusqu’à plus de 4000m en ce site. On voit que près de la surface, sur les 100 mètres supérieurs de l’océan, la température est homogène (trait vertical). C’est ce qu’on appelle la couche de mélange, une couche où les eaux sont bien mélangées grâce, en particulier, au vent, particulièrement fort dans cette région, comme nous l’avons vu. Cette couche supérieure est réchauffée par l’atmosphère et le soleil, c’est l’endroit où la température est la plus chaude. Ensuite, plus la profondeur est grande, plus la température est froide.
Le graphique de droite montre la salinité. Celle-ci est faible en surface, car nous sommes dans une zone où il pleut beaucoup, et que la pluie, c’est de l’eau douce (non salée). On voit aussi que la salinité est homogène dans la couche de mélange, comme la température. Ensuite, plus la profondeur est grande, plus la salinité augmente. Ce phénomène s’explique par l’origine de ces eaux profondes. Les eaux de l’Atlantique Sud situées entre 2000 et 4000m ne proviennent pas de la surface juste au-dessus d’elles, elles viennent en fait de très loin : elles ont plongé à ces profondeurs en Atlantique Nord et dans les Mers Nordiques (entre le Groenland et la Norvège) et elles ont plongé à ces endroits-là parce qu’elles étaient froides et salées, donc plus denses.
La figure ci-dessous montre les salinités mesurées dans l’océan Atlantique, et l’on voit que nos mesures pour 46°S, jusqu’à 4000 mètres de profondeur, concordent avec les mesures antérieures : des eaux de plus en plus en salées au fur et à mesure que l’on va vers le fond. On voit aussi les eaux de l’Atlantique Nord, très salées, qui plongent et se déplacent vers l’Atlantique Sud. Ces eaux forment une masse d’eau appelée Eaux Profondes de l’Atlantique Nord.
Salinités dans l’océan Atlantique
Source : Talley, L, 2000. http://sam.ucsd.edu/sio210/lect_2/lecture_2.html
Ces eaux se déplacent très lentement vers le Sud. Pour compenser, à la surface, les eaux de l’océan Atlantique vont dans l’autre sens, du Sud vers le Nord, avant de finalement plonger en profondeur. Cette circulation fait partie d’une grande boucle appelée circulation thermohaline. Thermo (température) haline (sel) parce qu’elle est pilotée par les différences de températures et de sel à grande échelle. Cette circulation est schématisée sur la figure ci-dessous :
Cette boucle est parcourue très lentement, en 1-2 milliers d’années. Elle est pourtant essentielle pour comprendre nos climats, et les enregistrements disponibles ont montré qu’elle pouvait s’arrêter et repartir très vite, modifiant le climat en de nombreuses régions du globe. C’est un des éléments qui nous permet de relier les changements climatiques au nord (en Europe, par exemple) et au Sud (là où a eu lieu la mission). Documenter l’évolution de cette circulation et les changements océaniques et atmosphériques concomitants est un des objectifs du projet de Claire. A suivre, donc !